Histoire d’un scoop. En 1972 en Bolivie, le journaliste français Ladislas de Hoyos s’approche d’un homme recherché depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, Klaus Barbie, dit le Boucher de Lyon.

Depuis la fin de la guerre 39-45, Beate et Serge Klarsfeld se sont employés à parcourir le monde pour retrouver les anciens officiers nazis qui ont disparu suite à la guerre. Et notamment Klaus Barbie, le chef de la Gestapo à Lyon, responsable de la déportation et de la mort de milliers de personnes, dont le résistant Jean Moulin.

En 1972, les Klarsfeld sont à la Paz, capitale de la Bolivie, à la recherche d’un certain Klaus Altmann, un faux nom derrière lequel se cacherait le criminel nazi. Le journaliste français Ladislas de Hoyos, grand reporter pour la télévision hexagonale, est à leurs côtés. Il parvient à obtenir des autorités boliviennes la possibilité d’interviewer le dénommé Altmann. Le gouvernement militaire bolivien compte sur cet entretien pour mettre fin à l’embarrassante rumeur.

L’interview se déroule le 3 février 1972 dans les locaux du ministère de l’Intérieur bolivien, lequel, élément important, se trouve tout près de l’ambassade de France. Quelques officiers boliviens et le ministre lui-même sont présents ainsi que le consul de France. Le gouvernement bolivien a posé ses conditions : En plus d’une forte somme d’argent, il a exigé que l’interview se fasse entièrement en espagnol et ne pas durer plus de trois minutes. Les questions seront en outre communiquées à l’avance.

L’équipe de tournage a pris place et Ladislas de Hoyos attend son homme. Klaus Altmann se présente : un homme âgé qui ressemble peu à l’impressionnant chef de la Gestapo. Le journaliste perçoit pourtant furtivement dans son sourire quelque chose qui lui confirme qu’il ne se trompe pas.

L’interview se déroule comme prévu. Les deux hommes discutent en espagnol à la grande satisfaction des autorités présentes. Bien entendu, Klaus Altmann dément être Klaus Barbie. Il n’est qu’un entrepreneur allemand installé en Bolivie.

Soudainement, contrairement à ce qui était prévu, Ladislas de Hoyos pose une question en allemand. Une légère agitation secoue les rangs boliviens. Altmann répond en allemand. L’équipe de tournage s’attend à ce qu’on arrête l’interview, mais les officiels boliviens n’interviennent pas.

Le journaliste s’adresse alors en Français : « N’êtes vous jamais allé à Lyon ?« . Altmann répond tranquillement, en allemand. Il ne connait pas Lyon, mais on découvre qu’il comprend parfaitement le Français.

La tension est à son comble. Le journaliste français garde son calme. Il sort de sa poche une photo de Jean Moulin, la tend à Altmann et lui demande s’il connait cet homme. L’Allemand se saisit de la photo, la regarde et répond qu’il ne le connait pas.

Mais peu importe la réponse. Le journaliste a obtenu ce qu’il recherchait. Lorsque Altmann lui rend le cliché, De Hoyos sait qu’il y a laissé des empreintes digitales. Le journaliste poursuit l’interview en demandant à son interlocuteur de répéter quelques phrases en français : « Je ne suis pas un assassin« , « Je n’ai jamais torturé« , « Je ne suis jamais allé à la Gestapo de Lyon« …

Lorsque le journaliste et Altmann se saluent, les officiels boliviens sentent que quelque chose leur a échappé. Ils demandent à avoir les bobines du film. Le cameraman Christian Van Ryswyck (le futur journaliste sportif) leur donne deux bobines vierges. Celles qui contiennent les images de l’interview ont discrètement été glissées au consul de France avec ordre de rejoindre l’ambassade au plus vite.

Ladislas de Hoyos dit que c’est lui-même qui a ramené les bobines à l’ambassade. Un point discordant qui en dit beaucoup sur la confusion et l’état de stress qui habite l’équipe à cet instant. Celle-ci se retrouvera rapidement au grand complet à l’ambassade de France, située tout près du bâtiment où a eu lieu l’interview. Une fois à l’abri, Ladislas de Hoyos se fait servir un verre de whisky, le boit d’un trait abant d’éclater en sanglots. Il tient le scoop de sa vie, avec le sentiment d’avoir œuvré pour l’histoire et la justice.

Les empreintes confirmeront que l’homme interviewé était bien celui qui était recherché. Altman l’avouera d’ailleurs un an plus tard pour un journal brésilien. Il restera encore de longues années sous la protection du gouvernement bolivien. Mais à la faveur d’un changement de régime, le criminel nazi sera livré à la France en février 1983. Il sera incarcéré à Lyon à la prison Montluc, celle où lui-même détenait et torturait ses prisonniers pendant la guerre. Son procès en 1987, le premier pour crime contre l’humanité en France, sera très suivi. Condamné à perpétuité, Klaus Barbie est mort en 1991.

A l’issue de sa carrière de grand reporter, Ladislas de Hoyos se tournera vers la télévision dans les années 1980 pour présenter les journaux télévisés, de la nuit tout d’abord, puis de 13 heures et de 20 heures. Il se lancera ensuite en politique, devenant maire de la commune de Seignosse dans les Landes. Il est décédé en 2011.

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